Tribune libre de Gérard Cornu membre du groupe local de R.A.P.
Dans la rubrique « connais ton ennemi », j’ai choisi de me coltiner avec la question simple en apparence, mais tout de même un tantinet épineuse, du territoire de la pub et de ses limites. Histoire de ne pas faire de mauvais procès à des voisins placides et inoffensifs. Et histoire de ne pas se laisser abuser par des pubs déguisées en schtroumpfettes ou en fleurs des champs…
Une pub, c’est un message : une affiche, un spot TV ou radio, une page de magazine, une annonce ou un pop-up sur une page web, les panneaux de bois qui enserrent un homme-sandwich, la banderole traînée dans le ciel par un avion…
Certains messages ressemblent à de la pub, se voient même parfois qualifiés de pub, mais n’en sont pas. Ce sont par exemple les affiches annonçant la tenue d’un vide grenier, les flyers présentant les activités d’une association, les programmes diffusés par un organisme culturel, ou même les tracts de RAP ! Ce sont aussi les campagnes dites d’intérêt général, sur la sécurité, le civisme ou la santé.
L’ambiguïté tient à ce que ce sont souvent les mêmes graphistes, les mêmes créatifs ou les mêmes agences, qui réalisent les uns et les autres. Et à ce que les méthodes utilisées pour les concevoir sont parfois proches. Quelle est la différence, alors ? Elle concerne d’abord l’objet du message : on parle de pub lorsque le message concerne un produit, un service ou une marque à caractère commercial. C’est le cas pour une marque de raviolis ou pour une agence de voyage. Toutes les deux sont présentes sur un marché où acheteurs et vendeurs s’échangeront leurs produits et leurs services. En revanche, une association, un spectacle ou RAP n’ont pas ce caractère marchand. Par abus de langage, il peut arriver que l’on parle d’une pub pour l’Opéra Graslin, mais cela a déjà moins de chances de se produire pour RAP. Vous vous voyez distribuer une pub antipub ?
Pub, « ad », com
Si ce n’est pas de la pub, qu’est-ce que c’est ? De la communication, tout simplement. Il y a quelques temps déjà, en 1988, l’Association français des Agences Conseils en Publicité (AACP) est devenue Association des Agences Conseils en Communication (AACC) (lire Armand Mattelart, La publicité, Ed. La Découverte, p.82). Pourquoi cela ? Parce qu’il n’était plus possible de continuer à parler d’agences de « publicité » alors qu’une part croissante de leur activité relevait non plus de la « communication publicitaire » au sens strict, mais de la communication publique, territoriale, sociale, associative, culturelle, médicale, touristique, et j’en passe.
Si vous êtes curieux et avez l’esprit critique, vous me répondrez que vous avez consulté Wikipedia, et que son article « publicité » (consulté le 31/08/15) dit exactement le contraire :
« La « pub » (…) n’est pas limitée aux biens de consommations ou aux services. Elle peut aussi promouvoir des hommes ou des femmes, vanter un lieu touristique, une organisation gouvernementale ainsi que des événements sportifs ou culturels. La publicité peut viser des changements de comportement ou la promotion de valeurs considérées comme positives ou bénéfiques au niveau de la société, mettre en garde contre les drogues, inciter au respect de l’environnement, ou encore promouvoir la prévention routière. »
Je vous répondrai que je pense beaucoup de bien, sincèrement, de Wikipedia, entreprise coopérative de très large ampleur, mais que son article sur la publicité ne brille pas par sa clarté. Pourquoi appeler pub ce que tout le monde, depuis longtemps, appelle communication ? Pourquoi entretenir la confusion entre secteurs marchand et non marchand, entre privé et public, entre commerce et campagnes d’intérêt général ?
La raison est sans doute liée au résultat d’allers et retours imprudents avec l’article en anglais « Advertising » (consulté le 31/08/15), et à une traduction hâtive et finalement trompeuse de ce terme par « publicité » en français. Or, ces deux termes n’ont pas la même extension. Si « advertising », dont le sens se rapproche de « annonce », n’a aucun mal à intégrer des applications non commerciales, le regroupement « publicité non commerciale » n’a pas de sens en français.
L’article « Advertising » indique très clairement :
« Commercial ads often seek to generate increased consumption of their products or services through « branding », which involves associating a product name or image with certain qualities in the minds of consumers. Non-commercial advertisers who spend money to advertise items other than a consumer product or service include political parties, interest groups, religious organizations and governmental agencies. Nonprofit organizations may rely on free modes of persuasion, such as a public service announcement (PSA). »
« (Les publicités commerciales cherchent souvent à susciter une consommation accrue de leurs produits ou services par le biais du « branding » ou « stratégie d’image », qui consiste à associer certaines qualités au nom ou à l’image d’un produit dans l’esprit des consommateurs. Les annonceurs non commerciaux investissent pour promouvoir des éléments autres qu’un produit ou un service. Ils comprennent les partis politiques, les groupes d’intérêt, les organisations religieuses et les agences gouvernementales. Les organismes à but non lucratif peuvent compter sur des formes spécifiques de persuasion, comme les annonces dites d’intérêt général.) »
La distinction entre « commercial ads » et « non-commercial advertisers » est ici essentielle pour distinguer entre la communication publicitaire et d’autres formes de communication, de même que la référence aux « nonprofit organizations ». Dommage que l’article français de Wikipedia ne soit pas aussi précis. Il mériterait assurément d’être remanié, et j’y appelle ceux qui sont motivés par le sujet et qui ont un peu de temps à consacrer à l’œuvre collective de Wikipedia. (À noter, et c’est important, que les qualités de clarté de l’article anglais ne doivent pas empêcher de relever son cynisme – ou sa naïveté –, lorsqu’il définit le « branding » comme une intervention dans l’« esprit » des consommateurs…)
Promouvoir ou informer
En dehors de cela, il y a d’excellentes choses dans la suite de cet article, et notamment l’idée que la pub se distingue par ses objectifs. Ce que vise la publicité en diffusant des messages sur tel ou tel produit ou service, c’est à les promouvoir. Jacques Séguéla, dans un petit ouvrage intitulé comme celui de Mattelart « La publicité » (Essentiels Milan, 1995), dit que celle-ci « est vénale. Elle est payée au pire pour vendre, au mieux pour faire préférer. » (p.5)
Ainsi, une autre distinction utile entre pub et « pas pub » se fait jour, celle entre promouvoir et informer. Rédiger un mode d’emploi, écrire un reportage sur de nouveaux produits ou de nouveaux usages, ou même mener une investigation sur les coulisses auxquelles le public n’a pas accès : tout cela est de l’information, et n’a rien à voir en principe avec la promotion. Il est vrai cependant que le publireportage et, de plus en plus, le « native advertising », tendent à brouiller les frontières.
D’autres distinctions s’imposent à leur tour. Je disais plus haut que les graphistes et les agences sont souvent les mêmes pour la pub et pour le hors pub. C’est une simplification qu’il faut maintenant lever. Vous verrez beaucoup d’agences spécialisées dans la communication publique ou territoriale, qui travaillent donc pour des mairies ou pour des administrations, et qui ne consacrent pas une seconde de leur temps à la réalisation de publicités commerciales. De même, des graphistes que leur formation et leurs goûts conduisent à privilégier des commandes à caractère culturel n’auront guère le cœur à engager leur talent dans la promotion de marques commerciales.
Qu’en est-il des méthodes ? Est-ce que ce sont vraiment les mêmes ? Ici, la question est plus complexe. Le temps est certes révolu où le discours dominant considérait qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre les méthodes utilisées pour vanter une marque de savon et les mérites d’un Président de la république. C’est ce qu’affirmait entre autres le grand classique de Al Ries et Jack Trout, « Positioning » en 1970. Actuellement, les principes stratégiques mis en œuvre restent largement communs, notamment pour ce qui est de la communication des collectivités et des administrations. Cela fait par exemple débat dans les services communication des universités, dont la tendance majoritaire à vouloir uniformiser des ensembles complexes autour de positionnements parfois simplistes n’est pas acceptée par tous.
Mais c’est surtout au niveau de la création qu’une véritable différence parvient à se manifester. La communication publicitaire est opportuniste, de plus en plus. Séguéla, il y a 20 ans, dans le petit ouvrage déjà cité, disait presque vrai lorsqu’il écrivait : « Comment peut-on être un bon publicitaire ? En aimant. Aime les marques qui t’offriront leur confiance, bats-toi pour les aider à franchir les frontières et les ans. Aime le consommateur, comprends ses mutations. Deviner demain doit être ton obsession. » Cette génération nous a parfois réservé de bonnes surprises, mais elle a définitivement passé la main. Désormais la loi du chiffre s’impose de façon implacable et les publicitaires actuels n’hésitent guère à user sans vergogne du martelage, du mauvais goût, de l’intrusion, si ces moyens s’avèrent plus efficaces vis-à-vis de l’objectif poursuivi. En revanche, la créativité s’est souvent retranchée dans les domaines non mercantiles, où le souci esthétique est perceptible et où une certaine éthique a sa place.
Un dernier point, pour conclure : s’il faut restreindre le sens du terme « publicité », il faut aussi prendre en compte l’extension de logiques marketing, très proches de la pub, dans une multitude de domaines. Le développement sans fin du marketing téléphonique, forme intrusive s’il en est, en témoigne. Ses stratégies sont aussi étudiées que celles de la pub. De même, l’autopublicité a envahi les médias. Bien au-delà de la recherche du scoop, elle fonctionne comme une stratégie de marque (« branding ») afin de se faire « préférer » du public et de s’installer de gré ou de force dans son esprit.
Un autre domaine, les TRE (techniques de recherche d’emploi), est le terrain privilégié d’une lutte sans merci entre les techniques du marketing et celles de la communication. Si vous êtes un jour au chômage, vérifiez bien que ceux, à Pôle Emploi et ailleurs, qui voudront vous enseigner à vous « vendre » sur le « marché » de l’emploi, à comparer votre offre de compétences avec la demande des recruteurs, à engager une stratégie publicitaire agressive pour promouvoir vos savoirs, vos savoir-faire et surtout vos savoir-être – ce que vous avez de plus intime –, n’en arriveront pas à vous déposséder de votre âme ! L’enjeu de la publicité se trouve là aussi, dans une sorte de « noyautage » de domaines en principe non marchands, et qui n’ont aucun intérêt, mais vraiment aucun, à le devenir.
Crédit photo : Natanael Amenábar